Beauté et psychothérapie

La beauté  se donne à voir dans la dimension éthique, poétique, spirituelle de l’humain. Mais plus simplement,  la beauté du processus de contact avec l’environnement est la mesure de la santé. Elle se manifeste dans la force de l’énergie qui circule, sa fluidité, le rythme et la grâce des formes émergentes, leur caractère unique et non reproductible. Est beau ce qui témoigne de la vitalité de la source et de l’avènement de ce qui cherchait sa voie.

En psychothérapie, la beauté oriente ma pratique, je la vis comme un indicateur de santé, et je définis à l’inverse la pathologie comme la marque du chaos ou de la rigidité, ce qui signe la perte d’accès à la beauté. Chaque personne peut être belle sous mon regard, sa beauté m’est donnée de façon directe et implicite, au détour du processus. Ma résonnance à ces instants d’émergence, qui sont des événements non reproductibles, m’oriente pour soutenir les ressources de la personne et la quête de sa vérité. Témoignent de la beauté des manifestations comme :

une voix bien timbrée et modulée, un geste souple et ample résultant d’un engagement de tout le corps, une émotion qui émerge dans toute sa délicatesse ou avec   une intensité triomphante, la justesse d’une parole délivrée, la touchante maladresse de celui qui se laisse voir sans chercher à paraître, la profondeur d’un regard, un silence dense et partagé, le corps en expansion à l’énoncé d’une vérité incontournable de l’être, un instant de pudique tendresse, une obscurité qui se déchire et qui donne comme un supplément d’âme, un visage qui irradie après la traversée d’un moment très souffrant. Car la beauté n’est pas forcément du côté de la joie, elle est aussi du côté de l’acceptation et de la transformation de la souffrance.

A l’inverse de cette ouverture, et c’est quelque chose qui nous est nécessaire, nous vivons avec une part d’autocontrôle, nous restreignons notre vitalité pour correspondre aux exigences de l’environnement, nous n’exposons que la part de nous-même qui semble acceptable aux yeux des autres, nous réduisons notre champ d’expérience pour nous focaliser sur un problème précis et être performant.

Par contre, nous nous perdons et la beauté n’a plus de place, lorsque nous restreignons de façon chronique et non consciente, nous nous anesthésions, que nous nous figeons dans notre évolution, nous sommes sans désirs, et lorsque nous sommes de plus en plus coupé des autres et de notre environnement : ceci est le versant dépressif. D’un autre côté, nos états émotionnels et notre sensibilité peuvent s’intensifier de manière chaotique de telle sorte que nous perdons nos facultés à nous raisonner, à appréhender clairement les situations, ou à nous laisser aller en toute sécurité. Nous sommes ici sur le versant anxieux.

Ce n’est pas la souffrance qui est pathologique, et d’ailleurs elle fait partie de la vie. C’est son enfouissement, sa fixation, notre déni ou notre incapacité à l’adoucir pour la rendre supportable, à la transformer, à l’utiliser comme un élément dans notre parcours de vie. Il y a une charge d’énergie énorme dans la fixation sur la souffrance. Libérée, elle est disponible pour s’engager dans l’existence depuis nos ressources et pour devenir présent à soi, à l’autre et à la situation, avec le pouvoir de les transformer tout en se laissant transformer en retour. Et ainsi pour créer de la beauté.